L'échec de Charles Millon

by omelette16oeufs on lundi 23 avril 2012

Les plus jeunes parmi vous ne se souviennent de Charles Millon, UDF,
droite catho (pro-peine de mort, anti-avortement), ministre de la
défense sous Chirac. Aux élections régionales de 1998, en Rhône-Alpes,
il se retrouve dans la position de Nicolas Sarkozy aujourd'hui : il
avait besoin des voix du Front National pour garder le conseil
régional. Peu après (et après son exclusion de l'UDF, due notamment à
François Bayrou ; Madelin quitte l'UDF en même temps) il fond son
propre "mouvement", La Droite. L'idée était que la droite dite
républicaine ne devait pas se priver du Front National, puisque
celui-ci faisait naturellement partie de La Droite.



L'épisode des régionales 1998 a été le début de la dégringolade
personnelle de Millon. L'idée d'une grande droite allant de Hitler à
de Gaulle et même jusqu'à Tocqueville, n'est pas morte pour autant.
C'était la droite décomplexée avant l'heure, et on peut être certain que
Millon n'était pas le premier à regarder les resultats en se disant
que si on additionnait les scores RPR, UDF et FN, la droite, ou La
Droite, serait imbattable pour toujours. Ou du moins pour mille ans,
ou quelque chose comme ça.



Si Nicolas Sarkozy, ainsi que les inséparables Copé et Fillon, se
retrouvent depuis hier dans la même position que Millon, il y a
plusieurs différences importantes, la première étant qu'ils ont à
séduire des électeurs et non pas des élus, comme c'était le cas pour
Millon. La seconde, c'est que depuis cinq ans, c'est déjà La Droite,
ou sa réincarnation, qui gouverne la France, Sarkozy se faisant élire
sur un programme faisant la synthèse idéologique de l'UMP et du FN. Il
n'y a pas de sens de parler d'une coalition pour une élection
présidentielle, mais l'élection de 2007 y ressemblait fortement, sur
le plan des idées sinon sur celui des personnes.



Depuis 2007, Sarkozy, Besson, Hortefeux et Guéant ont fait ce qu'ils
pouvaient pour mener une politique qui devrait plaire au Front
National. La synthèse n'était pas seulement dans les mots



La question devant les électeurs cette année est donc : veut-on
reconduire La Droite ? L'échec du premier tour, avec le retour massif
des électeurs FN vers leur pays d'origine (on les aime, mais on les
aime chez eux), signe l'échec de cette stratégie et l'échec de l'idée
même d'une Grande Droite.



Le problème, c'est que ce qui motive le Front National, son moteur
xénophobe, n'est pas compatible avec la droite conservatrice. Je ne
parle même pas de compatiblité avec la République. (Nous sommes
décomplexés maintenant, n'est-ce pas ?) L'électeur xénophobe, pour
diverses raisons, veut toujours plus, et n'a rien à faire justement de
défendre le capital. Il est tout sauf conservateur. J'écrivais l'autre jour :



Maintenant que Sarkozy a cinq ans de bilan derrière lui, que les
xénophobes souffrent tout autant de leur xénophobie, qu'il n'est plus
possible de promettre de tout faire péter ("pourquoi ne l'a-t-il pas
déjà fait ?"), il ne peut plus générer cette charge émotionnelle qui
fait rêver les oppressés de leur race. C'était prévisible,
d'ailleurs. Et maintenant, pitoyablement, il doit prononcer les mots :
"venez avec moi, on trouvera des 'solutions'". Mais le malade ne veut
pas d'une "solution", sinon il ne serait pas malade. Il veut tout
faire péter, comme toujours.






L'électorat du Front National ne veut pas du système, ne veut pas de
la réalité, ne veut pas de l'UMP, ne veut même pas des mesures de
Claude Guéant, aussi odieuses qu'elles soient. (Individuellement, les
électeurs se trompent, arrivent entre les mains de Marine pour
diverses raisons, plus ou moins bonnes. Ce ne sont pas tous des
enragés : je parle plus des idées que des gens qui sont attirés par
les idées. Le drame aujourd'hui c'est que presque vingt pourcent des
électeurs souhaitent se mettre hors du jeu.)



Donc La Droite ne marche pas, et ce n'est pas à cause des grands
principes républicains bafoués. Même décomplexée, La Droite ne marche
pas parce qu'elle se fracture de l'intérieur. Elle ne marche pas parce
que le Front National n'y retrouve aucun intérêt.

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